Forum Le Monde Le Mans

2017 - Peur de quoi ?

De quoi avons-nous peur ? Il y a quelques années encore, la chose aurait été impensable. Un Forum Philo Le Monde Le Mans entièrement consacré au thème de la « peur » ? Trop étroit, ou trop sombre, auraient objecté d’aucuns. Pourtant, lorsque cette idée a été suggérée par une lycéenne du Mans, à l’automne 2016, lors des traditionnelles visites au cours desquelles nous demandons aux élèves quel thème ils souhaiteraient voir traiter par nos prochaines rencontres philosophiques, la réaction des uns et des autres, chez les amis du Forum, a été presque unanime : ce qui aurait naguère suscité une réticence relevait maintenant de l’urgence ; la peur s’imposait comme une évidence. Est-ce un effet des attentats djihadistes ? Le résultat de la précarité sociale, des nouvelles tensions géopolitiques ou des multiples dérèglements climatiques ? Quoi qu’il en soit, la peur semble là, à la fois multiforme et solide. Et plutôt que de l’écarter d’un revers de la main, en affirmant qu’elle est en fait sans objet ou, ce qui revient au même, qu’elle relève d’une orchestration politique (le fameux « gouvernement de la peur »), il convient d’en affronter le réel. En effet, comme l’explique le philosophe Marc Crépon dans son essai intitulé La Culture de la peur (Galilée, 2008), si la crainte est classiquement envisagée comme le ressort du despotisme, la communauté de la peur ne saurait tenir lieu de communauté politique. D’où la nécessité de la surmonter, ou du moins de la déconstruire. Trois jours durant, au palais des Congrès du Mans, philosophes, anthropologues, psychanalystes et historiens, mais aussi écrivains et artistes, tenteront donc de penser cet effroi collectif qui entrave le présent et menace d’annuler l’avenir. Jean Birnbaum, responsable du MONDE des LIVRES coordinateur et animateur du Forum

Leçon inaugurale de Patrick Boucheron

10 novembre 2017
Durée : 00:52:30
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29ème Forum Philo Le Monde Le Mans - « Peur de quoi ? »

Leçon inaugurale de Patrick Boucheron

Intervenant : Patrick Boucheron, historien, professeur au Collège de France

On a toujours raison de se révolter, mais on peut parfois avoir tort de ne pas avoir peur. C’est bien ce que tentait de crier Bertolt Brecht de 1935 à 1938 dans Grand-peur et misère du IIIe Reich à tous ceux qui avaient le tort de ne pas s’alarmer davantage, car ils ne comprenaient pas qu’il y a une catastrophe qui n’est pas d’irruption soudaine mais de continuation irrésistible, si évidemment prévisible que plus personne ne songe à la prévenir. Tocqueville nommait inquiétude cette paralysie de la volonté démocratique, une peur diffuse et vague, incapable de désigner l’objet du péril. Il suffit de la ressentir pour commencer à obéir à tous ceux qui se targueront de vous faire consentir à un pouvoir injuste : “Désespérant de rester libres, ils adorent déjà au fond de leur coeur le maître qui doit bientôt venir”, écrivait-il dans De la démocratie en Amérique.

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