Colloque international - Les religions face aux théories et aux politiques de la «race» (XVe-XXIe siècle)
Les morisques irréductibles à la conversion : une affaire de ‘‘race’’ ?
Intervenante : Isabelle Poutrin, Université de Paris-Est Créteil / CRHEC
Depuis les ouvrages de Rodrigo de Zayas, Les morisques et le racisme d’État (1992) et, sur un mode plus érudit et moins polémique, de José Maria Perceval, Todos son uno. Arquetipos, xenofobia y racismo. La imagen del morisco en la Monarquía Española durante los siglos XVI y XVII (1997), la question de la représentation « raciste » des morisques n’a guère été une direction importante des travaux sur cette minorité. Le débat historiographique s’est focalisé davantage sur la remise en question du caractère « inassimilable » des morisques (caractère longtemps affirmé par l’historiographie catholique conservatrice) et, beaucoup plus largement, sur les voies de l’intégration de ces derniers à la société majoritaire. Ces problématiques ont donné lieu à d’importants travaux d’histoire sociale tels que, par exemple, l’ouvrage de Manuel F. Fernández Chaves et de Rafael M. Pérez García En los margenes de la cuidad de Dios : Moriscos en Sevilla (2011). Dans le même temps, les recherches sur l’émergence de la notion de pureté de sang ont progressé, les travaux de David Nirenberg marquant un jalon majeur dans ce domaine. En contrepoint aux recherches en cours sur les « conversos » et la notion de pureté de sang dans l’Espagne des XVe-XVIIe siècles, et des travaux récents sur les théories de la race, nous proposons de rouvrir le dossier du « racisme anti-morisque » et d’interroger l’idée d’une racialisation des morisques comme ressort de leur exclusion. L’infériorisation sociale des morisques par le biais de stéréotypes de groupe a-t-elle trouvé un équivalent dans la littérature cléricale consacrée à la christianisation des morisques ? Le caractère irréductible de ces derniers, leur résistance à l’endoctrinement catholique relèvent-ils d’une macule véhiculée par le sang, d’une « nature » constitutive de leur identité de groupe, ou sont-ils imputables à la persistance de l’imprégnation islamique ? Notre hypothèse de départ est celle de la faiblesse de la racialisation des morisques dans le discours religieux, même le plus hostile. Elle sera mise à l’épreuve par l’étude du corpus de la polémique anti-morisque notamment des livres du dominicain Jaime Bleda au début du XVIIe siècle.